A l'époque de la contre-culture, lorsque le simple fait d'écouter un disque de rock signifiait déjà créer une distance avec la génération précédente, les festivals musicaux étaient des symboles politiques d'émancipation pour toute une jeunesse. En France, ils furent très rares jusque dans les années 1980 avec quelques exemples notoires tel le festival de Mont-de-Marsan en 1976 et 1977, le Printemps de Bourges dès 1977 et les rencontres transmusicales de Rennes à partir de 1979. A cette époque, les organisateurs se heurtaient à des logiques institutionnelles privilégiant la littérature et la poésie, la musique classique et la langue française aux courants arrivant d'outre Manche et d'outre Atlantique que furent le rock, le rap et la techno et qu'avaient déjà été le jazz et le blues. D'un autre côté, une certaine organisation administrative centrée sur Paris en parallèle d'un show business hérité du music hall et fortement lié à des médias culturels également basés sur Paris, ne permettaient que très peu de visibilité à des initiatives de festivals musicaux issues d'associations de province. Dans les années 1980, une fenêtre s'est ouverte avec l'arrivée des socialistes au pouvoir suite à l'élection de François Mitterand à la Présidence de la République. Une génération d'organisateurs de concerts et d'associations composées d'acteurs de terrain s'est engouffrée dans cette brèche et a monté beaucoup de festivals en France tels les Eurockéennes de Belfort ou les Francofolies de la Rochelle par exemple. La plupart disparaîtront après plusieurs éditions tels que le festival du devenir à Saint-Quentin ou rock au Maximum dans le Puy-de-Dôme. Dans les années 1990, les festivals de rock au sens large ou de musiques actuelles, vont se développer comme la Route du rock à Saint-Malo, les Trois éléphants à Lassay-les-Châteaux, puis à Laval, ou les Rockomotives à Vendôme par exemple. Cela va continuer dans les années 2000 avec le développement des Vieilles Charrues ou du Hellfest pour citer deux exemples de festivals devenus majeurs en France. De nombreuses communes ou regroupements de communes vont également monter leur festival privilégiant des logiques économiques et touristiques par rapport à une ambition artistique ou culturelle.
Mais aujourd'hui, à quoi servent les milliers de festivals de musiques actuelles existant en France ? Notons déjà que la grande majorité sont des festivals locaux, organisés par des associations ou des services municipaux et invisibles hors de leur territoire. Nous avons visité cet été quelques uns d'entre eux qui sont pour le mois de juillet 2019 la Ferme électrique à Tournan-en-Brie (77), Chauffer dans la Noirceur à Montmartin-sur-Mer (50) et le Binic Folk Blues Festival (22). Le premier constat est que ces trois festivals que nous connaissions déjà par ailleurs et que nous apprécions beaucoup, proposent plus qu'une addition de concerts à applaudir pendant une ou plusieurs soirées, pour peu que l'on se donne la peine de regarder plus loin que les quelques têtes d'affiches proposées par ceux-ci, cette année Frustration, the Psychotic Monks, Zombie Zombie, Battles, Metz, Youssoupha, Sleaford Mods pour les trois festivals cités. Ces trois festivals sont très différents et chacun possède son ADN propre., mais on y retrouve une facilité de rencontre et de dialogue avec des gens auparavant inconnus, à la fois du fait d'une taille relativement petite, de sites conviviaux et du mélange d'habitants, d'amateurs de musique venus de loin, voire de touristes passés par là, de fêtards assez jeunes et de passionnés connaisseurs. Tous ces gens vont prendre le festival et se l'approprier de manière différente et il n'est pas rare de voir des personnages émerger parmi le public et revenir d'année en année, souvent à travers des initiatives festives anecdotiques mais participant à l'ambiance générale. Ces festivals ont aussi la particularité de mettre à peu près à pied d'égalité les organisateurs, les artistes, les bénévoles et le public, dans le sens où tous vont se mélanger, se rencontrer et se parler. Les artistes vont devenir les spectateurs d'autres artistes, voire les bénévoles des éditions suivantes. Il s'agit donc d'expériences humaines de partage et de fête pendant plusieurs jours. Il s'agit de Faire société dans un environnement propice et dans un espace-temps limité. Chacun se révèle, notamment les plus jeunes, à lui-même et aux autres, et va finalement vivre ce qui est plus difficile à vivre, voire impossible, dans un autre espace-temps qui est celui de la vie de tous les jours, du fait des contraintes sociales, familiales, des censures politiques ou économiques existantes. La question de la frontière entre le vécu du festival par les participants et ce qui va déborder dans leur vie de tous les jours, ce qui aura changer pour certains festivaliers pendant cette courte période et va être emmenés par eux dans leur quotidien, soit tout de suite après l'événement, soit plus tard par les traces laissées par l'événement, est posée. Réfléchissons aux meilleurs moments vécus à l'occasion de tel ou tel festival, ce ne sera pas forcément un concert et dans tous les cas, ce sera différent pour chaque personne, même si certains peuvent se retrouver sur un moment particulier. A la Ferme électrique cette année, on fêtait les 10 ans du festival avec le retour de quelques artistes marquants des premières éditions tels que Frustration, Bruit Noir ou le Réveil des Tropiques. La Ferme électrique est organisé par un collectif composé de plusieurs associations telles Fortunella, la Ferme de la justice et GRT, mais aussi la ville de Tournan-en-Brie et le conservatoire municipal de musique Couperin. Ce qui est génial, selon nous dans ce festival, c'est finalement d'avoir révélé au fil des éditions des personnalités à la fois chez des artistes, dont certains ont vécu leur concert le plus visible et/ou le plus marquant de leur carrière, mais aussi et surtout chez les bénévoles, les organisateurs, les équipes techniques et le public. En 10 ans, le organisateurs ont su s'entourer de multiples personnes que l'on retrouve chaque année, les décorateurs, les équipes vidéo, les ingénieurs du son sont parfois aussi importants dans ce festival que les artistes et il arrive même qu'ils se mélangent. On y a vu des ingénieurs du son monter sur scène, des artistes faire des tatouages pendant le festival, d'autres gérant les retours pendant un concert et les exemples ne manquent pas. Cette année, pour nous, la communion a été totale avec les artistes en interview ou sur scène, les organisateurs et les bénévoles, le public composé lui-même d'artistes, de professionnels de la musique en week-end festif et de plein de gens que l'on ne connait pas mais à qui il est possible de parler quasiment à n'importe quel moment. Les grands moments furent sans doute les interviews de membres des équipes techniques, de programmation et de production, de Cassse Gueule et des Psychotic monks, les concerts de Fleuves Noirs et de la Jungle le deuxième jour et toutes les rencontres et échanges plus ou moins longs avec les membres de Keruda Panter, du Singe Blanc (le chanteur est venu à vélo de Metz à la Ferme électrique ! ) et de tous les autres. Un autre point important est le fait que nous soyons venus avant l'ouverture du festival à la Ferme électrique le dimanche précédent et à Chauffer dans la Noirceur, la veille au soir, car c'est l'occasion de rencontrer des gens qui sont trop pris pendant le déroulement du festival, de se plonger dans l'ambiance régnant chez les bénévoles et les organisateurs du festival. Une personne interviewée résume bien la situation : le montage du festival, c'est les vacances avec plein d'amis bénévoles et puis d'un seul coup le festival ouvre ses portes et plein de gens arrivent, le public, et on se demande c'est qui tous ces gens ? ..... à suivre